Dans la filière des cosmétiques, le règlement (CE) n° 1223/2009 définit les exigences réglementaires à respecter pour les produits mis sur le marché. Ainsi en accord avec l’article 3 du règlement, les produits cosmétiques ne doivent pas mettre en danger la santé humaine dans les conditions normales ou raisonnablement prévisibles de leur emploi. Selon l’article 10 du règlement, la preuve du respect de cette exigence incombe à la personne responsable du produit fini qui doit mener une évaluation de la sécurité sur la base d’informations appropriées. L’article 17 du règlement précise que la présence non intentionnelle de substances interdites doit être évaluée notamment celles issues de la migration des emballages et l’annexe 4 du Règlement (CE) n° 1223/2009 indique que les caractéristiques pertinentes du matériau d’emballage doivent être prises en compte lors de l’évaluation de la sécurité, notamment sa pureté et sa stabilité. Bien que la Commission Européenne ait publié des lignes directrices pour la mise en œuvre de ces exigences (Décision d’exécution du 25/11/2013), les éléments de preuve à fournir par les responsables de la mise sur le marché ne sont pas parfaitement établis. Alors quelle approche adopter pour vérifier la sécurité sanitaire des emballages de produits cosmétiques ?

Transposer les exigences de la réglementation des matériaux au contact des aliments

Dans la filière agroalimentaire, une réglementation en partie harmonisée existe pour les matériaux et emballages destinés au contact des aliments (règlement (CE) n° 1935/2004). Cette réglementation requiert que tous les matériaux et objets destinés à entrer en contact, directement ou indirectement, avec des denrées alimentaires soient suffisamment inertes pour ne pas céder à ces denrées des constituants en une quantité susceptible de présenter un danger pour la santé humaine, d’entraîner une modification inacceptable de la composition des aliments ou d’altérer leurs caractères organoleptiques. L’approche de la filière agroalimentaire peut être transposée vers la filière cosmétique. Hormis le cas de la sensibilité cutanée, il est raisonnable de penser que l’exposition aux substances chimiques par contact cutané n’est pas plus dangereuse que l’exposition par ingestion des substances. Ainsi, sous réserve d’un niveau d’exposition au plus équivalent, fonction des surfaces d’échanges entre les matériaux d’emballage et les produits cosmétiques, les limites de migrations adoptées pour les emballages de denrées alimentaires (LMS) peuvent être aussi sures dans le cas des emballages de produits cosmétiques. Sur cette base, l’évaluation de la sécurité sanitaire des produits cosmétiques implique de prendre en compte la spécificité de ces produits, quant à leurs propriétés physiques et chimiques et quant à leurs condition d’usage, afin d’adapter au mieux les protocoles d’analyse de la migration des substances.

Les phénomènes de transfert des substances des matériaux d’emballage vers les cosmétiques

La migration est le terme générique généralement employé pour désigner le transfert d’une substance chimique ou de plusieurs substances chimiques d’un matériau d’emballage vers un produit contenu (un produit cosmétique par exemple).

Dans le cas des matières plastiques et d’une façon plus générale, dans le cas des polymères, les acteurs de la filière alimentaire utilisent deux termes pour désigner la migration (voir le règlement UE n°10/2011) :

  • la migration globale est définie comme la quantité maximale de substances non volatiles qui migrent dans les aliments, aussi appelée « migrat ». Il s’agit d’une propriété du matériau et le seuil admis est indépendant de la toxicité du migrat.
  • la migration spécifique est définie comme la quantité d’une substance particulière qui migre dans les aliments, aussi désignée comme un migrant, et dont le seuil admis est en principe déterminé à partir de la toxicité connue de la substance.

Le transfert des substances chimiques des polymères vers les produits contenus met principalement en jeu la sorption/désorption, la diffusion et la convection. Le mouvement des substances, conséquence de l’agitation moléculaire (mouvement brownien), va générer des flux de molécules produisant un transfert de substance dans les deux sens, soit du matériau vers le produit contenu, ou du produit contenu vers le matériau.  A une température donnée, la diffusion d’une substance dans une matrice suit les lois de Fick et se caractérise par son coefficient de diffusion D (en m²/s). La cinétique du transfert comporte une première phase où la concentration du migrant dans la matrice augmente selon une vitesse fonction du  coefficient de diffusion. Au cours d’une seconde phase, l’équilibre thermodynamique est atteint lorsque le flux des molécules qui migrent du matériau vers la matrice  est égal au flux des molécules qui migrent de la matrice vers le matériau. La distribution d’une substance entre un matériau et un produit contenu est représentée par son coefficient de partage K (grandeur sans unité qui est le rapport des concentrations volumiques de la substance à l’équilibre entre le matériau et le produit contenu).

Les limites de l’approche par analyses de migration des substances

Pour évaluer la sécurité sanitaire des matériaux et emballages destinés au contact des produits cosmétiques, les moyens et stratégies classiques par méthodes analytiques de mesure de migration ont des limites qui ne permettent pas toujours d’aller au bout de la démonstration. En effet, peu de méthodes de mesure de la migration spécifique ont été normalisées et le coût de développement de nouvelles méthodes par les laboratoires est élevé. La plupart du temps, les analyses sont effectuées sur la base des règles fixées par la réglementation des matières plastiques destinées au contact des aliments à partir de conditions standardisées qui ne correspondent pas exactement aux conditions réelles d’utilisation.

Pour compléter les approches d’analyses en laboratoire, l’Union Européenne a accepté depuis 2002, dans la filière agroalimentaire, que  l’évaluation de la migration potentielle d’une substance puisse  être calculée en appliquant des modèles de diffusion généralement reconnus, fondés sur des données scientifiques, et établis de manière à surestimer la migration réelle.

La modélisation est acceptée si elle vérifie deux conditions :

  • la substance doit être au préalable identifiée ;
  • la concentration finale dans l’aliment ou la quantité transférée dans l’aliment doit être surestimée par l’outil de calcul par rapport à la situation réelle ou par rapport au résultat d’une analyse de migration.

Sur cette base, l’INRA a lancé des travaux de recherche auxquels il a associé le LNE et d’autres partenaires qui ont permis de développer de nouvelles approches et de nouveaux outils visant à mieux démontrer la sécurité sanitaire des emballages. Ces approches pourraient aussi être utilisées dans la filière des cosmétiques. Elles reposent sur des applications de modélisation des transferts des substances comme SFPP3 (« Safe Food Packaging Portal » Version 3) accessible sur le site de l’INRA [1].

L’approche par modélisation des transferts de substances

La modélisation des transferts de substances repose sur des hypothèses simplificatrices permettant

prédire la migration d’une substance d’un matériau vers le produit contenu, tel qu’un produit cosmétique. Ces hypothèses et les recommandations sont résumées dans le guide de la Commission Européenne pour la démonstration de la conformité des matériaux au contact des denrées alimentaires. Le but final est de prédire la quantité de substance libérée dans le produit contenu après un temps de contact donné, approche qui peut être utilisée par extension aux emballages de produits cosmétiques.

Basé sur les phénomènes mis en jeu lors du transfert des substances chimiques, l’outil de modélisation développé par l’INRA permet de prédire la contamination d’une matrice. Dans le cas des produits cosmétiques, les données d’entrée du calcul font intervenir les caractéristiques de l’emballage, les propriétés de transfert de la substance et les conditions d’utilisation, soit :

  • la surface de contact de l’emballage avec le produit cosmétique ;
  • la concentration de la substance dans le matériau ;
  • le volume de matière et sa masse volumique ;
  • le volume et la masse volumique du produit cosmétique ;
  • le coefficient de diffusion de la substance dans le matériau et dans le produit cosmétique à une température donnée ;
  • le coefficient de partage de la substance entre le matériau et le produit cosmétique ;
  • les durées et les températures de contact entre le matériau et le produit cosmétique.
Image
Profil de concentration d’une substance dans un polymère
Figure n°1 : profile de concentration d'une substance arbitraire dans le matériau à la fin du temps de contact considéré (en haut) et sa cinétique de migration dans le produit en contact (en bas).

Les résultats du calcul de modélisation sont présentées sous forme d’une courbe (voir la figure 1) montrant la cinétique de migration (concentration de la substance évaluée dans le produit cosmétique en fonction de la durée de contact avec le matériau) et sous forme d’un profil de concentration de la substance en fonction de l’épaisseur du matériau après le temps de contact choisi avec le produit cosmétique. Avec ces résultats, une prédiction de la contamination des produits cosmétiques par les substances est possible notamment à la date limite de conservation dans l’emballage. Les valeurs de migration obtenues sont alors à comparer aux seuils réglementaires admis dans la filière agroalimentaire (LMS en mg/kg d’aliment).

L’approche par modélisation des transferts est d’ores et déjà utilisée par le LNE pour évaluer la sécurité sanitaire d’emballages de denrées alimentaires et peut être étendue aux emballages de produits cosmétiques. 

Cette approche simplifie l’estimation de la cinétique de migration des substances dans des conditions les plus proches possibles de l’utilisation réelle des produits. Les résultats sont ainsi accessibles en quelques jours pour des produits cosmétiques conservés dans leur emballage pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. De plus, l’évaluation de la migration des matériaux vers les produits cosmétiques est possible même pour des substances non disponibles chez des fournisseurs de produits de laboratoire, ce qui est souvent le cas des substances néoformées, ou lorsque des protocoles analytiques n’ont pas encore été développés.

Date de mise à jour :  Août 2016

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