La démarche classique pour démontrer la conformité d’un matériau ou d’un objet au contact avec des aliments consiste à analyser la migration des constituants dans les simulants alimentaires. Cette approche se heurte parfois à des difficultés pratiques comme l’absence de méthode analytique ou le temps nécessaire pour obtenir les résultats. Depuis quelques années, des nouveaux outils de modélisation basés sur des représentations mathématiques des phénomènes de migration ont été mis en place. Ils permettent, non seulement de prédire le niveau de migration, mais aussi de hiérarchiser les substances, les matériaux et même les étapes dans un procédé selon leur criticité et ceci plus rapidement et à moindre coût. Bien que la réglementation en vigueur autorise la modélisation pour établir la conformité des matériaux et objets, ces outils sont encore peu connus des opérateurs.

​​​​​​​Une législation européenne difficile à appliquer

L’Union Européenne est depuis plusieurs années dans une démarche d’harmonisation des exigences règlementaires applicables aux matériaux au contact des aliments qui visent à garantir la sécurité sanitaire afin d’éviter, notamment, la contamination des aliments par des substances provenant des emballages.

Cette harmonisation en cours a aussi pour objectif de permettre la libre circulation des marchandises et, de ce fait, la législation européenne est bâtie sur une logique de filière et prescrit des exigences par groupe de matériaux. Même si l’objectif final est de minimiser la contamination des aliments, en pratique la conformité est souvent évaluée en prenant partiellement en compte les contaminants de toute la chaîne d’approvisionnement.

Sur le principe, la législation européenne est claire : un matériau « ne doit pas présenter de danger pour la santé humaine » (Article 3 du règlement (CE) n° 1935/2004). Ce principe est applicable aux 17 groupes de matériaux précisément décrits dans la réglementation. Cependant, la mise en œuvre de cette exigence s’avère plus complexe pour les opérateurs du fait de l’absence de mesures spécifiques d’application pour 13 des 17 groupes de matériaux. Pour certains de ces matériaux, il existe des dispositions applicables au niveau national. Cependant, les textes règlementaires concernés sont parfois anciens et ne prennent pas en compte l’évolution des technologies et des modes d’utilisation des matériaux au contact des aliments. De plus, même pour les matériaux couverts, une partie de la démonstration de conformité repose sur l’évaluation des risques faite sous la responsabilité des opérateurs : C’est le cas pour les substances des matières plastiques dont certaines ne sont pas incluses dans la liste positive (matières colorantes, solvants, substances des encres, des colles et adhésifs et substances néoformées).

Une évaluation de la sécurité sanitaire des emballages complexe et coûteuse

Pour évaluer la sécurité sanitaire des matériaux et emballages destinés au contact des aliments, les moyens et stratégies habituellement employés ont des limites qui ne permettent pas toujours d’aller au bout de la démonstration. Ainsi, peu de méthodes de mesure de la migration spécifique ont été normalisées et les coûts de développement de nouvelles méthodes par les laboratoires sont élevés. La plupart du temps, les analyses sont effectuées sur la base des règles fixées par la réglementation à partir de conditions standardisées qui ne correspondent pas exactement aux conditions réelles d’utilisation. Enfin, les contrôles sont effectués en bout de chaîne et ne prennent pas en compte tous les risques de contamination (comme par exemple les effets de décalque de type « set off »).

Des outils de modélisation pour répondre à cet enjeu

A partir de ce constat, l’INRA a lancé des travaux de recherche auxquels il a associé le LNE  et d’autres partenaires au sein du projet collaboratif ANR « Safe Food Pack Design » afin de développer de nouvelles approches et de nouveaux outils visant à mieux démontrer la sécurité sanitaire des emballages de denrées alimentaires. Ces travaux ont d’ores et déjà permis de mettre à disposition des opérateurs du marché deux outils de modélisation :

Basé sur les phénomènes mis en jeu lors de la contamination des aliments par les matériaux (diffusion des substances dans le matériau d’emballage et partage des substances entre le matériau et l’aliment), l’outil de modélisation SFPP3 permet de prédire la contamination d’un aliment par une substance chimique. Les données d’entrée du calcul font intervenir les caractéristiques de l’emballage, les propriétés de transfert de la substance et les conditions d’utilisation de l’emballage, soit :

  • la surface de contact de l’emballage avec l’aliment ;
  • la concentration de la substance dans le matériau ;
  • le volume de matière et sa masse volumique ;
  • le volume et la masse volumique de l’aliment ;
  • le coefficient de diffusion de la substance dans le matériau et dans l’aliment à une température donnée ;
  • le coefficient de partage de la substance entre le matériau et l’aliment ;
  • les durées et les températures de contact entre le matériau et l’aliment.

Les données de sortie sont présentées sous forme d’une courbe montrant la cinétique de migration (concentration de la substance évaluée dans l’aliment en fonction de la durée de contact avec le matériau) et sous forme d’un profil de concentration de la substance en fonction de l’épaisseur du matériau après le temps de contact choisi avec l’aliment. Avec ces résultats, une prédiction de la contamination des aliments par les substances est possible notamment à la date limite de conservation dans l’emballage. Les valeurs de migration obtenues sont alors à comparer aux seuils réglementaires admis (LMS en mg/kg d’aliment).

SFPP3 est open source et a notamment été développée comme moyen utilisable, dans l’Union Européenne, pour démontrer la conformité des emballages destinés au contact des aliments (Règlement UE n° 10/2011 concernant les matières plastiques). Cette méthode, reconnue par les autorités en charge du contrôle du marché, ne se substitue pas aux méthodes d’analyse de la migration mais elle les complète en apportant la puissance de calcul d’un l’outil paramétrable et utilisable notamment en l’absence de méthode analytique pour démontrer la conformité des emballages. A contrario, les valeurs de migration obtenues ne permettent pas de conclure à la non-conformité des matériaux car ce sont des surestimateurs de la contamination des aliments (Hypothèses de départ du calcul basées sur le pire des cas et maximisant les migrations).

Image
dossier thematique modeling severity chain
Figure n° 1 : a) Processus de fabrication et d’utilisation d’un produit alimentaire prêt-à-manger emballé et imprimé ; b) profils de concentrations (en haut) et cinétiques de contamination de l’aliment (en bas) associées à la migration du photoinitiateur vers une soupe prête-à-manger, l’emballage est décomposé en trois couches : PP, base d’encre et encre d’impression et c) sévérité associée à quatre étapes du processus.

 

Afin d’être en mesure de mieux évaluer la sécurité sanitaire des aliments dans une logique de processus, le programme de recherche « SafeFoodPack Design » a étendu l'outil SFPP3. Cet outil est basé sur l’utilisation d’une méthode d’analyse des dangers et des risques connus sous l’acronyme AMDEC (Analyse des Modes de Défaillance, de leurs Effets et de leur Criticité) ou FMECA (Failure Mode Effects and Criticality Analysis). Cette méthode, initialement développée dans les années 1940 par l'armée américaine, a été reprise par la NASA dans les années 60 pour le programme Apollo, afin de l’appliquer aux fournisseurs de denrées alimentaires sous l’appellation HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points).

Le 2e outil de modélisation, appelé FMECAengine, réalise des calculs sur la base de cas réels de produits alimentaires emballés. Il a pour objectif d’analyser une défaillance (la migration d’une substance) sur la base d’un niveau de sévérité (le niveau de migration normalisé à partir de seuils liés à la toxicologie des substances) afin d’établir un niveau de criticité fonction de différents paramètres comme la nature des composants de l’emballage, les substances chimiques contenues dans les matériaux, la géométrie des articles et les étapes du processus.

 

Trois types d’applications pratiques sont déjà utilisés dans le cadre du programme de recherche :

  • l’évaluation de la sévérité d’une étape industrielle : Le but est de hiérarchiser les  risques associés à l’ensemble des pratiques et des conditions d’utilisation des matériaux, du stockage industriel des composants d’un emballage jusqu’à la préparation des aliments emballés par les consommateurs (voir la figure 1) ;
  • la comparaison de différentes conceptions d’emballage :  Il s’agit d’introduire des contraintes supplémentaires de type « propriétés d’usage » dans la démarche de conception d’un emballage. La sécurité sanitaire du produit est alors construite en prenant en compte d’autres caractéristiques de l’emballage comme ses propriétés mécaniques ou de perméabilité aux gaz ;
  • l’évaluation de la contamination d’un aliment par les substances potentiellement présentes dans son emballage :  à partir de scénarios correspondant à des cas réels de denrées alimentaires emballées, une distribution statistique de coefficients de diffusion surestimés est calculée afin d’évaluer les risques de contamination par les substances potentiellement présentes dans la formulation des matériaux de l’emballage.

FMECAengine a notamment pour objectif de mieux répondre à l’obligation, faite aux opérateurs du marché dans le règlement (CE) n° 2023/2006, de mettre en place de bonnes pratiques et de maitriser les risques de contamination des aliments par les emballages.

Au sein de l’Unité Mixte Technologique ACTIA « SafeMat : Matériaux-Sûrs », le LNE contribue avec l’INRA et AgroParisTech aux différentes évolutions de l’outil de modélisation: modélisation tri-dimensionnelle des transferts, modélisation en présence d’écoulements (tuyaux, pompe, matériels industriels, etc.), usages répétés des matériaux. L’utilisation de ces outils peut être étendue à d’autres applications telles que les emballages de produits cosmétiques, pharmaceutiques ou issus des biotechnologies. Les données de modélisation des transferts peuvent être rapprochées des données de consommation des produits emballés pour évaluer l’exposition des consommateurs à certaines substances chimiques.

Date de mise à jour : mars 2020

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